Katherine Levac donne l’impression d’être agacée quand on la cite en exemple ou lorsque le public lui demande ses petits trucs et conseils existentiels sur son poids, son homosexualité, sa réalité de jeune maman ou son expérience de femme en humour. Ou, d’être considérée comme objet de référence semble à tout le moins la faire beaucoup rire.
Pourtant, l’humoriste de 34 ans devra s’y faire : avec son nouveau spectacle, L’homme de ma vie – qui arrive (déjà) sept ans après son premier effort sur scène, Velours, et deux ans après Grosse, un deuxième one woman show, limité à la sphère virtuelle dans les restes de la pandémie, et encore disponible sur Crave –, elle s’impose un peu comme une porte-parole de bien des jeunes femmes de sa génération.
Que vit une jeune dame lesbienne dans la mi-trentaine, mère de famille attentive, professionnelle occupée, posant un regard à la fois critique et cynique sur le monde qui l’entoure en 2024?
C’est ce que raconte Katherine Levac dans L’homme de ma vie. Dans les mots qu’on lui connaît, avec sa posture doucement arrogante, penchée d’un côté ou de l’autre, n’esquissant que quelques pas circulaires tout près de son tabouret, dans sa façon de baisser son volume pour remonter brusquement le ton dans une phrase qui punche et de jouer délicatement avec ses intonations, le résultat est authentique, pertinent, actuel.
Et drôle, parce que Katherine Levac est foncièrement, naturellement, inextricablement drôle, elle a gagné à la loterie de la mimique et du timing.
Moins de culture pop
On ne lui collera pas l’étiquette au front, elle n’en fera pas des publicités télévisées comme celles qu’elle tourne pour valoriser la sécurité routière pour le compte de la SAAQ.
Mais en parlant simplement d’elle, en abordant des thèmes – dans un ordre pas nécessairement logique, mais fluidement, comme une longue conversation qu’elle tiendrait avec l’assistance – comme la charge mentale, le botox, ses seins pendants, son rapport aux hommes, la masturbation, la séduction, l’amour de soi (une explication vers le titre L’homme de ma vie) et même l’agriculture (elle a grandi sur une ferme en Ontario), en rendant un magnifique hommage à sa propre mère, lequel met en relief la fréquente ingratitude d’une progéniture, et en échappant ici et là quelques commentaires à résonnance sociale, Levac évacue probablement les préoccupations et frustrations de nombre de ses semblables qui n’ont d’autres tribunes que leurs statuts Facebook pour décharger leur trop-plein de tâches et de stress.
« Tu sais pas c’est quoi du Zincofax? Profite de ta soirée », lance-t-elle à l’intention de ses spectateurs sans enfants. Les siens, des jumeaux de deux ans, ont développé un langage secret d’onomatopées enfantines qu’elle trouve secrètement chouette (« C’est deux madames à un show de Cavalia »), mais qu’elle prend, au vu et au su de tous, au sérieux (« On est la génération de parents qui aiment les spécialistes… »). Elle a arrêté l’allaitement parce que ça ne lui « tentait fucking pus », a fait appel à un coach du sommeil pour ses trésors et cite du Jackass pour les endormir. Son truc pour perdre les kilos en trop laissés par sa grossesse? Les gastros chipées à la garderie par ses mousses. Avouez que vous y reconnaîtrez bien des nouvelles mamans de votre entourage.
Kat Levac maîtrise encore et toujours, comme personne, l’art de créer des images dans nos esprits. Sa poitrine, elle en compare le format à un tout mince feuillet de Prions en Église, à un duo-tang neuf, à une assiette de carton mouillé. Faut la voir imiter le chien qui la regarde se masturber – c’est impayable – ou pasticher les remarques entendues des visiteurs (informés qu’ils se trouvaient chez Katherine Levac) lors d’une visite libre de sa maison à vendre. Non, ça ne plaira pas qu’aux filles de 30 ans et aux parents de poupons.
Dans Velours, Katherine Levac piochait des sujets dans les bribes de son quotidien, jonglait du coq à l’âge entre les menues observations, domaine où elle excelle. Dans Grosse, sa grossesse et son histoire d’amour au féminin lui fournissaient une matière en or pour se livrer. C’est maintenant dans cette veine qu’elle poursuit, avec quelques échelons supplémentaires de maturité. Le cliché est éculé, mais Katherine Levac présente ici son spectacle le plus personnel et le plus abouti, qui s’éloigne des anecdotes à l’emporte-pièce et du badinage autour de la culture populaire.
Certes, que les adeptes du genre se rassurent, Katherine Levac reste Katherine Levac; il est furtivement question, dans L’homme de ma vie, du jus Fruité aux pêches, du Furby de nos enfances (souvent réservé aux fillettes!), de Gilmore Girls, de Caramail, de Radio Enfer, d’Histoires de filles, du bon vieux bip test des cours d’éducation physique et même de la SODEC (qui soutient le cinéma de son amoureuse, la réalisatrice Chloé Robichaud).
Mais on ne bâtit pas une carrière à ironiser sur Mixmania, et Katherine Levac tend peut-être à s’éloigner des lieux communs en avançant en âge et en métier. Même son décor de rideau de filaments satinés et son éclairage en forme d’arche, qui la rend souveraine sur sa grande scène, inspirent l’élégance.
Mention spéciale, en terminant, à Anne-Sarah Charbonneau, jeune humoriste derrière le Womansplaining Show, qui offre en première partie de Katherine Levac un « monologue de gouine » solide et maîtrisé, à forte teneur autodérisoire. Une étoile à surveiller.
Vous pouvez aussi lire ici notre récente critique du spectacle de Guillaume Pineault, Vulnérable, et de celui de Mario Jean.
Katherine Levac présentera L’homme de ma vie en tournée partout au Québec au moins jusqu’en mai 2025, et sera de nouveau de passage à Montréal, à L’Olympia, le 16 mai prochain. Consultez son site officiel pour toutes les dates.
Crédit photo principale : Alexis GR / Courtoisie Production