La lutte est « arrangée », le cirque est chorégraphié, les corps constituent, ici comme là, la principale matière à applaudir ; il fallait peut-être un esprit créatif bouillant à la Robert Lepage pour penser marier les deux disciplines, mais à bien y réfléchir, le jumelage de la prise de l’ours et de l’acrobatie traditionnelle n’a rien de si farfelu.
Personnages colorés, costumes éclatés, prouesses physiques, mouvements étudiés, les ingrédients sont présents des deux côtés pour offrir un spectacle à faire hurler (et huer!) une foule. SLAM!, nouveau-né (déjà bien virulent!) des compagnies Ex Machina et FLIP Fabrique, en jette ainsi plein la gueule. SLAM frappe fort!
Fort médiatisée, la production d’abord présentée au Diamant de Québec au début du mois vient de s’installer à la Tohu de Montréal et a galvanisé les troupes, jeudi, soir de première médiatique, évidemment très courue, une dizaine d’années après que Robert Lepage ait embrasé la même enceinte avec ses grandioses projets Pique et Cœur. Les sourires trahissant une réelle fascination se dupliquaient partout dans les gradins, la salle circulaire de la Tohu étant pour l’occasion réaménagée pour donner une réelle impression de sous-sol d’église, théâtre de tous les excès.
Nul besoin d’être particulièrement entiché de lutte et/ou de cirque pour apprécier le « combat » et son humour, pas du tout fin, pas du tout subtil, même franchement burlesque par moments.
Babyface, Pretty Cowgirl et El Luchador!
Devenant protagoniste en soi dans « l’histoire » de SLAM!, le public est invité d’entrée de jeu à réagir et à s’exprimer aux revirements des différents combats. À crier bruyamment! Les gens ne s’en privent pas, y allant de généreux « Bouh! » ou « Pourri! » lorsque nécessaire et s’extasiant des pirouettes les plus spectaculaires. Il y en a quelques-unes véritablement réjouissantes entre deux bousculades absurdes.
Comme il se doit, dans SLAM!, on se jette dans les câbles sans ménagement. Les drôles de moineaux d’annonceurs décrivent dans un charabia incompréhensible, les arbitres sont pris à partie. Nos lutteurs paraissant tout droit extirpés d’une bande dessinée, débarquent en héros, avant de, parfois – souvent! – redevenir zéros.
Babyface affronte Strongman, Higlander se mesure à Superhero, Amazonia ne fait qu’une bouchée de Pretty Cowgirl (l’emprisonnant même dans une poubelle, mais les contorsions de cette dernière, ahurissantes, finiront par voler la vedette), El Luchador croise le fer avec El Diablito, The Widcats tapoche The Swingers, tous grossiers et sans nuances sous leurs masques, capes et looks irlandais ou léopard.
Le concierge valse avec sa moppe, les invités au parterre arborent bedaines et coupes Longueuil. Parfois, ce sont seulement les poings qui fendent l’air; plus loin, c’est un individu tout entier! Cette caricature de l’univers déjà très typé de la lutte – qu’on représente ici avant, pendant et après la joute – est sans faille.
L’art circassien s’insère tout doucement et plutôt naturellement dans ce « ballet » d’une violence à percevoir au deuxième, voire au dixième degré : une clôture fait office de proche cousine du mât chinois, on jongle avec des pneus de voiturette aussi mués en haltères, le diabolo tournoie et rebondit à la vitesse de l’éclair, le main à main se fait sensuel, des poussées culminent en une pyramide humaine, le ring se métamorphose en trampoline et accueille grand écart et funambulisme. Même la barbe à papa devient prétexte à s’amuser joyeusement.
Les culbutes exhibent toutes les parties du corps, simagrées faciales à l’avenant. Les sauts impressionnent. Rien n’est laissé au hasard, mais tout est fluide. Rien n’est forcé. Outre les muscles de nos pauvres bagarreurs, que les effets sonores – salutations aux musiques soutenantes, dont les rythmes restent longtemps collés en tête, et à la conception sonore de Bob & Bill – amplifient… douloureusement! Un constant bruit de fond simulant le bourdonnement d’une clameur ambiante, de spectateurs réclamant leur dose de vengeance, de surprise, d’inattendu, d’époustouflant, complète l’énergie qui pourrait manquer aux partisans en chair et en os.
On est dans un show de lutte, ne l’oublions pas! Quelques jolies trouvailles se déploient également à l’écran en fond d’arène, lequel reflète parfois un autre point de vue que celui figuré aux pieds de l’assistance.
SLAM! se moque peut-être tout au plus gentiment du monde très exagéré et saugrenu de la lutte, mais ne le ridiculise absolument pas. On sent au contraire que l’équipe derrière lui voue beaucoup de tendresse et s’est amusé à le réinventer en l’assemblant à d’autres formes d’art. Une audace qui « fesse »!
SLAM! tient l’affiche de la Tohu jusqu’au 7 avril. Pour informations, consultez le site web officiel.
Lisez ici notre critique de Camping, un autre spectacle récemment présenté à la Tohu.
Crédit photo principale : JF Savaria / Courtoisie Production