Quelle fichue de belle occasion il aurait ratée, Ludovick Bourgeois, devenu lui aussi chanteur comme son BB de papa, s’il avait snobé (tiens, c’est justement avec Snob qu’il entame son spectacle hommage) le répertoire encore tellement vivant du groupe mythique de son regretté paternel!
Une occasion de remplir ses salles, soit. De propager des lampées de cette nostalgie dans laquelle on aime souvent se vautrer. La nostalgie des BB, c’est celle du party, de MusiquePlus, du fixatif et des cheveux longs.
Et, une occasion, oui, de faire sonner les caisses. Bien sûr. Et pourquoi pas. Regardez-lui la belle gueule, les cheveux foncés, les traits harmonieux. Écoutez sa voix identique.
C’est l’incarnation d’un jeune Patrick Bourgeois, version jeune père de famille propret – il reconnaissait lui-même son image plus sage que celle de l’auteur de ses jours lors de son récent passage à Tout le monde en parle – qui se présentait pour la première fois sous nos yeux à La voix en 2017, et gagnait le concours. Les plus âgés se rappelaient avoir vu son minois de gamin dans les magazines jadis, il avait commencé à jouer ici et là, mais à TVA, c’est son désir assumé de suivre les traces de son géniteur qu’affirmait le jeune Bourgeois. Et il cassait tout de suite le malaise de « l’identification à » lors de son audition à l’aveugle en interprétant… Tu ne sauras jamais. Habile.
Il a par la suite – bravo! – réussi à imposer son prénom au-delà de son notoire nom de famille. Ludovick s’est affirmé, s’est testé avec du matériel de son cru, revendique aujourd’hui quelques tubes à titre personnel (Desert Song, Sur ton épaule, Milliardaire de toi, Figé dans le temps). Or, à ce stade rendu, à 31 ans, la génétique a parlé, la perche était tendue, la voie tracée d’avance. Il y aurait existé pire dessein que de raviver souvenirs et anecdotes d’un petit bout de province. On aime encore les chanter, les succès des Beaux Blonds. Profitons-en.
Ludovick Bourgeois dans le spectacle hommage Les BB par Ludovick Bourgeois Crédit : Bertrand Exertier / Courtoisie production
Propre et tendre
Le digne héritier de Patrick, mais aussi de François Jean et Alain Lapointe, qui n’était même pas encore de ce monde au faîte du triomphe des BB, a donc mitonné un tour de chant complètement, totalement dédié à la carrière de ceux-ci. Des refrains pour la plupart éprouvés (Parfum du passé, Voyou, Fais attention, Donne-moi ma chance, Seul au combat, Loulou au rappel…), introduits par de petites tranches de vie que Ludovick relate avec humour.
Pouvez-vous croire que ce jeune fanfaron, 3 ans lorsque les BB déclaraient forfait, avait peine à croire à la réputation de son père et ses potes avant de les voir enflammer 70 000 personnes aux FrancoFolies en 2008! Et quand le descendant raconte l’une des dernières blagues de son défunt héros aux ultimes heures de sa vie (il espérait pouvoir interpréter « Pourquoi t’es dans la urne »…!), c’est le fou rire complice assuré.
Les morceaux s’alignent dûment, sans dérapage. Derrière notre hôte, ses quatre musiciens et sa choriste se dessinent des motifs géométriques colorés à résonnance d’années 80-90 ou, inévitablement, des capsules vidéo des BB en coulisses, des BB en action, de BB Ludovick âgé de quelques mois… Réprimera-t-on nos « ooohhh », nos « aaahhh » d’attendrissement? Parfois, le mouvement de Ludovick, sous l’écran, se coordonne avec celui de Patrick, plus haut. Il n’y a pas surenchère de mélancolie, on n’est pas bombardés d’archives; l’assemblage est dosé. On en aurait pris davantage. Ou, différemment. Possiblement que des extraits complets avec son, entre les pièces, nous auraient davantage imprégnés de l’ambiance BB qu’on souhaite servir. Joël Legendre signe cette soignée, pesée, mise en scène articulée autour du charisme de sa vedette principale.
Ludovick Bourgeois dans le spectacle hommage Les BB par Ludovick Bourgeois Crédit : Bertrand Exertier / Courtoisie production
Mardi, soir de première montréalaise, on avait l’impression qu’il manquait un petit je-ne-sais-quoi à ce voyage dans le temps. Pas de l’amour. Ça, il y en avait à revendre. Il se criait même parfois un peu trop fort à l’arrière, au parterre (« Ton père est fier de toi! » ; « Tellement beau, Ludo! »). Les BB par Ludovick Bourgeois, c’est beau, c’est bon. C’est aussi réservé. Ça se résumerait à : propre et tendre. Mesuré.
Peut-être que ça ne dégoulinait pas de… luxure. Peut-être qu’à Montréal, le grand Théâtre Maisonneuve et sa solennité s’avèrent un peu froids pour un conventum festif du genre. On aurait adoré vivre cette expérience de résurrection momentanée des Beaux Blonds dans un Club Soda ou un Lion d’Or gonflé à bloc, où on aurait dansé à tue-tête, l’alcool à flot sous la main.
Parce qu’ils n’ont pas été légion, les artistes de la trempe des BB, au Québec. Façon rock stars américaines aux looks et à la dégaine juste assez bums – pas trop, fallait quand même pas tout bousiller, grand-maman les affectionnait aussi –, faisant hurler, s’évanouir les filles, puant le sex appeal. Poussant de surcroît une pop rock ô combien rassembleuse, chargée, taillée radio, dans cette période fin 1980 – début 1990 où, la poussière retombée sur la morosité post-référendaire, s’éloignant de la complainte, la musique québécoise se donnait le droit d’enfoncer la pédale sur les guitares lourdes et le riff agressif. Les emblèmes des rockeurs sexy, chez nous, ce sont les BB.
Karaoké décalé : quel dommage!
Leurs paroles sont encore entonnées de mémoire une trentaine d’années après leurs gloires au palmarès, après la séparation des troupes, même après que deux attachants de ses illustres membres, Patrick Bourgeois (2017) et François Jean (2020) nous aient quittés. Il y a d’ailleurs une portion karaoké dans Les BB par Ludovick Bourgeois, sur T’es dans la lune, certainement l’un des plus puissants vers d’oreille du grand livre des vers d’oreille de la chanson franco d’ici. Tout le monde debout!
Ludovick Bourgeois dans le spectacle hommage Les BB par Ludovick Bourgeois Crédit : Bertrand Exertier / Courtoisie production
Ludovick Bourgeois dans le spectacle hommage Les BB par Ludovick Bourgeois Crédit : Bertrand Exertier / Courtoisie production
Hélas, mardi, les paroles qui apparaissaient à l’écran derrière Ludovick ne défilaient pas au même rythme que celles qui se prononçaient sur scène. Le décalage était flagrant, même malaisant. Quel dommage. Heureusement, le public n’avait pas besoin de mode d’emploi pour scander joyeusement « Pourquoi t’as salé ton café, pour qui tu te parfumes, pour qui tu oublies de rentrer… » C’est imprimé dans nos cerveaux!
Idem pour Fais attention. Le texte avancé, l’assistance ne sollicitait même plus Ludovick pour la hurler fort. Les plus gros hits avaient été conservés pour la fin. Au moment d’attaquer Tu ne sauras jamais, le fils ne spécifie pas qu’aux funérailles de Patrick Bourgeois, mi-décembre 2017, toute l’église Sainte-Thérèse-d’Avila, à Sainte-Thérèse, avait doucement chanté cette iconique ritournelle amoureuse à la fin la cérémonie. Ceux et celles qui y étaient s’en souviennent.
Ludovick Bourgeois tend un très honnête et sympathique coup de chapeau à son père et aux BB. Il n’est pas les BB. Il serait injuste de lui exiger de reproduire à lui seul un phénomène, de surcroît magnifié par les temps qui courent, alors qu’un livre (La folle aventure des BB, Éditions Québec Amérique, 2022) et un projet de biopic pour la télé ou le cinéma (en préparation par Christal Films, par le réalisateur Alain DesRochers, qui a aussi filmé quantité de vidéoclips du groupe) ravivent également notre fibre BB-esque. On ne peut que saluer sa manière d’être, à lui.
Et lui dire merci, Ludovick, de nous replonger dans nos parfums du passé.
Maintenant… on ranime Fa si la chanter?
Pour connaître l’itinéraire et les dates de la tournée Les BB par Ludovick Bourgeois, consultez le site web du chanteur.
Crédit photo principale : Bertrand Exertier / Courtoisie production