Elle n’a pas été jojo, cette année 2023 sur laquelle on vient de tourner la page, avec ses turbulences sociales, politiques, climatiques, économiques, et quoi d’autre encore. On se demandait bien comment le Bye Bye pourrait parvenir à nous faire rire franchement à partir de catastrophes naturelles ou d’un climat populaire tendu. On se disait qu’on se rabattrait sans doute beaucoup sur la culture populaire en tournant plus ou moins autour des pots facilement inflammables.
Avec intelligence et doigté, l’équipe d’auteurs au talent de béton armé orbitant près du réalisateur principal Simon-Olivier Fecteau a su façonner une revue efficace, alliant, oui, références à la télévision et au cinéma, mais qui n’a esquivé à peu près aucune manchette difficile de l’actualité, les triturant toutes avec finesse.
À elle seule, la saynète des Nouvelles du Téléjournal ICI TVA – récurrente depuis quelques éditions du Bye Bye – a survolé quantité de dossiers épineux, grève de la fonction publique, fermeture du chemin Roxham et révolte de Meta devant la loi C-18 incluses. Et c’est une parodie de La semaine verte qui a pris de front les aléas de la météo capricieuse.
À tout seigneur, tout honneur, nommons-les, ces créateurs inspirés : Suzie Bouchard, Maxime Caron, Valérie Caron, Julien Corriveau, Philippe Gendron, Pierre-Yves Roy-Desmarais (aussi membre du noyau dur de comédiens principaux avec Guylaine Tremblay, Claude Legault et Sarah-Jeanne Labrosse), Julien Tapp et Simon-Olivier Fecteau lui-même. Plusieurs d’entre eux contribuent à l’émission depuis 2020, année depuis laquelle les Bye Bye s’avèrent particulièrement réussis.
Comme quoi, avec de bons textes et toute la gomme visuelle déployée dans chaque Bye Bye, la magie opère. Certaines de ces plumes (notamment Suzie Bouchard et l’ex-Appendice Julien Corriveau) comptent parmi les plus brillantes de la nouvelle garde en télévision et en humour, et le résultat se perçoit à l’écran. Vous savez, cette « relève » d’artistes milléniaux audacieux et expérimentés, à qui on devrait faire confiance pour intéresser les ados et les vingtenaires aux productions d’ici ?
Plan B et Chambres en ville
Des idées ingénieuses ont jalonné cette rétrospective sans longueurs, agrémentée, comme le veut désormais la tradition, de plusieurs apparitions de vedettes inattendues (Arnaud Soly, Patsy Gallant, James Hyndman, Mario Pelchat…).
Comme le concept des retours en arrière de Plan B pour résumer l’annus horribilis et les multiples déboires du premier ministre François Legault et de la CAQ. Ou les retrouvailles des (vrais!) comédiens de Chambres en ville (dans un décor en tout point semblable à l’original!) pour évoquer l’inflation et la crise du logement autant que les résurrections de séries d’hier comme La petite vie et Un gars, une fille. Clin d’œil peut-être hasardeux à comprendre pour les jeunes, mais significatif pour toute une génération. Avec, en prime, une visite de « Crotte de nez », le personnage aux « palettes » et à la coupe Longueuil d’Anne Dorval, né dans le Bye Bye 2016. Les cours d’acting offerts par Bernard Drainville (Patrick Huard) à des pointures telles Rémy Girard et Élise Guilbault étaient aussi fort bien songés.
On salue l’autodérision de la direction de Radio-Canada, qui a approuvé les capsules raillant « L’extra de Tou.tévé » (Tou.tv), objet de discussion cette année pour ses primeurs payantes. « Pour rire plus, c’est 7 piass’, bitch », a pavoisé Louis-José Houde, laissant miroiter davantage de blagues aux abonnés.
Le mariage de l’univers d’Oppenheimer avec le site de la SAAQ, le rap racontant l’épopée du REM et son vacarme ambiant, Louise Sigouin analysant la relation de Justin Trudeau et Sophie Grégoire, le passage mouvementé du duo de La poche bleue au balado Sous écoute de Mike Ward, et même des sketchs sur les toilettes mixtes, ChatGPT et l’implosion du sous-marin Titan (avec les démodées Têtes à claques) : vraiment, on a ratissé large, évitant à peu près seulement le conflit israélo-palestinien… et le débranchement abrupte du Monde à l’envers de TVA. Mais la posture incertaine de Pierre Karl Péladeau arborant le t-shirt vert trop serré des Cowboys Fringants, elle, a été reproduite à merveille par Pierre Brassard!
Du fond du cœur, merci pour les claques aux publicités de Hyundai (et le wah d’une Marilou aux babines proéminentes) et de Meubles RD (avec un Pierre-Yves Roy-Desmarais aussi exubérant que peut l’être Jérémy Demay dans lesdites réclames), diffusées si souvent qu’elles en sont maintenant depuis longtemps éculées.
Roy-Desmarais nage comme un poisson dans l’eau dans le cadre éclaté du Bye Bye. Son Marc-Antoine Dequoy post-victoire des Alouettes à la Coupe Grey était hilarant. Louis Morissette avait visiblement étudié les manies et intonations de sa « victime » Martin Matte dans la caricature du talk-show de ce dernier à TVA, Martin Matte en détresse. Les forces d’actrice de Guylaine Tremblay ne sont plus à prouver depuis longtemps, mais qu’elle enfile les tenues de Marthe Laverdière ou les lunettes de Pierre Poilievre, la chouchou du public est confondante.
Enceinte au moment du tournage, Sarah-Jeanne Labrosse a été un peu plus effacée pour des raisons évidentes, à l’instar de Claude Legault, dont le seul excellent pastiche de François Legault justifie sa présence au sein de la distribution d’un Bye Bye.
Par contre, les chansons loufoques de Roy-Desmarais en ouverture ont peut-être fait leur temps et ne créent plus le même effet comique qu’à leurs premières écoutes. Entonnée cette année sous le thème de la fin du monde et du « dernier Bye Bye », la pièce n’était pas à la hauteur de la qualité qui allait suivre, et son petit hommage à Dominique Michel aurait aisément pu être inséré ailleurs.
Quant à la vignette Rapides et dangereux 2023 se moquant des vélos électriques, elle a peut-être trouvé moins de résonnance hors de Montréal, tout comme celle de l’abattage des cerfs de Longueuil.
Le Bye Bye 2023 sera rediffusé ce lundi, 1er janvier, à 21 h, à ICI Télé.
Crédit photo principale : Courtoisie Radio-Canada
Marie-Josée R.Roy
Fondatrice / Rédactrice en chef / Journaliste