C’était à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

Sur scène, il y avait Roch Voisine, vêtu en noir et blanc, presque parfois égaré dans le tambourinement d’éclairages de toutes les couleurs en ouverture, sur Là-bas dans l’ombre. Au parterre, il y avait une foule excitée, fébrile, déjà bruyante au deuxième morceau (Fille de pluie). Avant même le début du spectacle, un murmure s’élevait dans les salles de bain des dames : paraît-il que le beau Roch serait célibataire à nouveau… Qui sait s’il signera des autographes une fois le rideau tombé?

Étions-nous en 1989? Bien sûr que non. Nous parlons ici de la soirée de jeudi, 10 octobre 2024, alors que Roch Voisine, la chevelure quasi intacte d’autrefois, à peine plus ridé que dans sa prime gloire, lançait en grande pompe sa tournée Hélène 35. Hélène pour l’album et l’hymne romantique du même titre, bien sûr, et 35, pour l’anniversaire que soulignent cette année ces importants morceaux de notre culture populaire. Un disque certifié diamant (plus d’un million de copies vendues) à sa sortie.

Roch Voisine présente le spectacle Hélène 35, qui revisite ses premiers succès / Crédit : Carl Salvail

Roch Voisine présente le spectacle Hélène 35, qui revisite ses premiers succès / Crédit : Carl Salvail

« Il y a 35 ans, presque jour pour jour, c’était la grande première montréalaise, à la Place des Arts…  Est-ce qu’il y en a qui étaient là? », a prononcé Roch, rappelant le prétexte du rendez-vous.

Des « Ouiiii! » sentis se sont époumonés à plusieurs endroits de l’assistance. Ça lui a rappelé, à Roch, cette première fois qu’il avait entendu Hélène à la radio, dans son camion, au tournant d’un air de Madonna. « À chaque fois que je changeais de poste, j’entendais un petit bout d’Hélène… » Était-ce un petit accent tonique d’orgueil qu’on a perçu dans cette déclaration fière d’un homme visiblement content du pouvoir toujours porteur de son outil de séduction d’antan?

Or, non, chère dame en troisième ou quatrième rangée, elle ne viendra pas tout de suite en début de prestation, Hélène… Ça finirait beaucoup trop tôt. Faut voir le sourire taquin de Roch quand il sert l’avertissement. Un enfant. Ou un tombeur trop conscient de son charme.

Salle à craquer

À 61 ans, le « beau Roch » se paie donc la traite, rebrandit son vieux matériel pour le rebichonner des applaudissements de ses inconditionnels et étirer sa propre jeunesse par la même occasion.

Et, savez quoi? Wilfrid-Pelletier craquait presque. Si vous croyez que le Québec en a soupé de l’été qui s’achève, des yeux dans l’eau et du rêve trop beau, allez le dire à toutes ces âmes émerveillées qui emplissaient dûment le parterre, et les corbeilles, et presque entièrement les balcons de la prestigieuse enceinte de la Place des Arts, jeudi. La musique délie moins les bourses que jadis, mais ravivez temporairement la« Rochmania », et c’est presque comme si on était encore aux beaux jours des exploits patinés de Danny Ross dans Lance et compte. Presque.

Roch Voisine présente le spectacle Hélène 35, qui revisite ses premiers succès / Crédit : Carl Salvail

Roch Voisine présente le spectacle Hélène 35, qui revisite ses premiers succès / Crédit : Carl Salvail

« Dose de nostalgie », « voyage dans le temps », « retour en arrière », utilisez l’image fripée et élimée que vous voulez, c’était le festival du souvenir et du refrain fredonné de mémoire. Je resterai là. Puis, Dis-lui. Et La berceuse du petit diable. Et Avant vous (qui n’avait apparemment jamais été faite sur scène), une ode aux fans. Avouez que vous les entendez sans les entendre.

Roch Voisine a tout vécu ou à peu près, musicalement, en filigrane de ses 250 textes écrits en 30 ans (il s’est toujours dit un peu attristé que ses talents d’auteur-compositeur n’aient pas été suffisamment reconnus, au profit de son minois d’éternel jeune premier). Il s’est farci le plein-air des festivals, frotté à la majestuosité des orchestres symphoniques et l’immensité du Centre Bell, a palpé la pop comme le country, a célébré les anniversaires d’anniversaires. Et des deux côtés de l’Atlantique, s’il vous plait.

Ni « sobre et dépouillée » (pour rester dans le lieu commun), ni démesurément alourdie par trop de fioritures inutiles, l’atmosphère d’Hélène 35 est généreuse, à la hauteur des célébrations d’usage. On a beurré toute la gomme côté éclairages, dans des pastilles dispersées, ou des rayons multi-teintes jaillissant de partout, dans toutes les directions, se fondant parfois l’un dans l’autre. Dessin de loup poilu sur L’homme du Nord. Photos d’un jeune Roch au faîte du succès ici et là, sans abuser. Chapeau à la conception visuelle, ça sent le Félix.

Pour accompagner le jubilaire, six musiciens (dont les aguerris Jean-Sébastien Baciu et Jeff Smallwood) aux instrumentations parfois trop fortes, et deux choristes souvent autant à l’avant-plan que le chanteur. On sait gré à Roch d’avoir relativement foutu la paix à ses chansons et de ne pas leur avoir imposé un concept général de filtre acoustique, a capella ou en duo, trio, quintette ou quoi encore, avec des collègues pigés au hasard du bottin de l’Union des artistes pour leurs retrouvailles avec le public.

Plutôt, le vieux routier a préféré accoler des ambiances distinctes à chacun de ses titres. User du dénuement ou de l’acoustique, oui, mais avec parcimonie. Certes, que Laisse-là rêver (un hit au Liban bien plus qu’ici, s’est-on fait raconter) est intense, grattée doucement à la guitare en solo. Peut-être parce qu’elle revêt une signification particulière pour Roch, maintenant que celui-ci est papa d’une fillette de 4 ans (et de deux adolescents, précisons-le). La bande à Roch se l’est ensuite jouée humble, sans canons, toute postée au-devant de son espace, à chaque complice son moment, sur la séquence L’idoleLa promesseTant pisPourtant, pas les joyaux les plus sur-entendus du répertoire. Qui ont néanmoins provoqué leur lot d’enthousiasme.

Party et ovation

Une trentaine de pièces au total. Un embryon de délire sur Kissing Rain. Une liesse timide aux percussions d’une Légende d’Oochigeas plus rock qu’à sa naissance.

Roch Voisine présente le spectacle Hélène 35, qui revisite ses premiers succès / Crédit : Courtoisie La Tribu

Roch Voisine présente le spectacle Hélène 35, qui revisite ses premiers succès / Crédit : Courtoisie La Tribu

La récente (2017) Tout me ramène à toi, dernière pépite d’engouement commercial.

Plus on avançait, plus on les sentait venir, ces tubes, ces immortelles radiophoniques qui ne veulent pas mourir. Plus on avançait, plus Roch l’arpentait, son espace, s’y déplaçait, s’y tortillait. Et déclenchait les réactions aigues. La température a monté à Deliver Me. Jean Johnny Jean s’est passée debout pour tout le monde, tapements de mains et déhanchements à l’avenant, dans des arrangements davantage peaufinés et modernes qu’à l’originale. Sur Avant de partir et Darling, c’était simplement le party. Au diable les politesses.

« Avant de partir », on a aussi eu droit à un long rappel avec les musiciens invités Réjean Lachance et Christian Péloquin, autres comparses estimés. « On en a-tu oublié une? », a badiné notre hôte après Pretty Face. Au terme de prévisibles acclamations, un silence respectueux l’a écoutée et appréciée, Hélène, mais c’est I’ll Always Be There, juste après, qui a entraîné la plus abondante levée de cellulaires lumineux.

Mais il restait Bye Bye. Qu’une ovation sifflante, presque hurlante, réclamait. « Les mots me manquent… Merci d’être là! » Il était secoué, Roch. Ils étaient incarnés, ces « Pour vous, pour vous (…) Espérons qu’on va se revoir ». L’étaient encore davantage les remerciements sonores de ses interlocuteurs.

En 1989, Roch Voisine ne racontait probablement pas, dans ses concerts, qu’il sortait de chez son chiro quelques heures avant d’enflammer une salle. Autres temps, autres bobos. Mais, jeudi, dans cette Salle Wilfrid-Pelletier rien qu’à lui, Roch a démontré que les années peuvent s’empiler, son Hélène et lui vont rester. On se revoit aux 45 ans?

La tournée Hélène 35 se poursuit, au Québec et en France, au moins jusqu’au printemps 2025. Une supplémentaire a été ajoutée à Montréal, le 18 avril 2025. Consultez le site de l’artiste (rochvoisine.com) pour les détails.

Crédit photo principale : Carl Salvail  / Courtoisie La Tribu

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