À peine lancée, la vivifiante exposition «L’heure mauve» crée l’événement au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). La fantaisie du génial artiste suisse Nicolas Party, couplée à l’onirisme et la poésie musicale de Pierre Lapointe, y dérivent en un univers où nos cœurs d’adultes retombent joyeusement en enfance, non sans un sursaut de gravité ici et là.
Nicolas Party, 41 ans, natif de Lausanne, partage aujourd’hui son temps entre Bruxelles et New York. Il expose ici pour la première fois au Canada, après avoir étalé son talent et sa magie aux plus prestigieuses enceintes de Lugano, New York, Beijing, Bruxelles et Washington.
Le créateur endosse les rôles de metteur en scène, scénographe, conservateur de musée et plasticien dans le projet conjoint immersif de «L’heure mauve» avec le MBAM, qui imprégnera certainement les esprits.
La sensation en arts visuels y dépeint le rapport de l’homme à la nature depuis le début des temps en entremêlant ses œuvres à plusieurs existantes du Musée des beaux-arts, en revisitant même certaines d’entre elles de son œil décalé.
En complément, Pierre Lapointe signe une trame sonore mariant réappropriations de classiques et de monstres sacrés (Aznavour, Ferré, Leclerc, Vigneault, Satie) et mots de son cru (toujours délicieux). Un bien beau voyage, que ce périple mauve, à la tombée de la nuit.
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Ludique et pimpant
Mettez les pieds dans cette «Heure mauve», et vous aurez l’impression que le printemps s’est pointé avec quelques heures d’avance.
Pimpante, colorée, originale et surtout très ludique, «L’heure mauve» nous entraîne dans un monde où la femme a corps de serpent, de champignon ou de ruines de briques, où fruits et théières géants évoquent les membres humains, où les troncs d’arbres se muent en labyrinthes striés, où la touche de naïveté des paysages dégage tendresse et imagination, où grottes et cavernes suggèrent feux et glaciers, où les corps agenouillés accueillent serpents, salamandres et papillons, où les corps s’étirent, où les forêts s’embrasent, où les fleurs semblent vouloir s’exprimer.
Une petite bulle à part, en sept salles, où le quotidien se retrouve magnifié, éclaté, où les jeux d’enfance nous appellent, où passé et présent se chevauchent. L’amalgame de contrastes-ressemblances entre les versions de toiles récentes de Party et celles de la collection maison du MBAM est d’ailleurs fascinant.
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Nicolas Party existe en teintes pastel (sa technique de prédilection), en aquarelles et en sculptures. C’est tout doux, c’est chaleureux et rassurant. Et c’est aussi sérieux, non sans un regard critique : ces bouts de tableaux qui s’enflamment rappellent notre environnement climatique qui s’éteint à petit feu, ces êtres dévorés d’éléments nous indiquent peut-être que l’homme, malgré toute sa grandeur, n’aura jamais préséance sur cette nature gigantesque qu’il croit pourtant posséder.
Stéphane Aquin, directeur général du Musée des beaux-arts de Montréal, raconte que Nicolas Party a mis en scène «des êtres fantastiques habitant une nature poétique idéalisée». Et le titre de la présentation, «L’heure mauve», fait référence à Ozias Leduc et son tableau du même nom (1921) exposant la transition entre jour et soir, qui trône justement fièrement au cœur du parcours. Et c’est un peu l’impression qui se dégage de la visite, celle d’un entre-deux, d’un passage. Une balade entre bonheur et appréhension. Entre fiesta et lendemain de veille. Entre lumière et ombre. Rions, célébrons, festoyons… pendant qu’il est encore temps.
Saisons en musique
Tout ce régal visuel, c’est beaucoup, et ce n’est même pas tout. Le concept de «L’heure mauve» nous invite à nous brancher écouteurs aux oreilles depuis notre téléphone et code QR, pour se gaver des airs de Pierre Lapointe au gré de notre marche entre les trésors de Nicolas Party. Une trouvaille qui rehausse l’expérience, bien sûr. «L’heure mauve» donne toute sa signification à l’aventure de l’art qui transporte et emballe âme comme intellect.
Pour chacune des sept salles de «L’heure mauve», l’homme qui déjoue l’ennui propose deux chansons : une reprise d’un morceau légendaire, dont l’un en allemand («Sag mir wo die Blumen sind», de Pete Seeger et Joe Hickerson en version originale anglaise, et Max Colpet en mouture allemande), et l’une de ses compositions. À certaines d’entre elles s’est greffé le Quatuor Molinari.
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À la vue des fantasmes de Party, tout tombe sous le sens quand Lapointe entonne le «corps si beau de cette chère indolente» sur le «Serpent qui danse», texte de Beaudelaire. L’auteur-compositeur-interprète juxtapose son propre «Hymne à l’automne» à «L’hymne au printemps» de Félix Leclerc, il murmure et crie qu’«Aujourd’hui la neige revient» («Les froids du Nord, les vents malins, après quelques mois de répit…») pour répondre à «L’hiver» de Gilles Vigneault («Viennent les vents et les neiges, vienne l’hiver en manteau de froid, vienne l’envers des étés du roi…»)
Évidemment que les saisons occupent prépondérante place dans une installation ode à la nature. Comme l’oubli, le manque, la solitude, l’amour, le désir, la nostalgie… À la fois réjouissante et mélancolique, la «Pépiphonie» qui clôt le trajet laisse au cœur une trace d’envoûtement, un orchestre de sentiments aussi léger que puissant.
L’album «L’heure mauve», qui s’annonce déjà comme l’une des pièces maîtresses de la discographie de Pierre Lapointe, est réalisé par Philippe Brault et existe hors des murs du Musée des beaux-arts de Montréal. On peut déjà se le procurer sur les plateformes numériques, et une édition vinyle paraîtra également l’été prochain. Un ouvrage de référence, «Nicolas Party : L’heure mauve», retraçant l’œuvre de ce dernier, est aussi en vente.
«L’heure mauve» est à l’affiche au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 16 octobre 2022. Des activités spéciales pour tous se tiennent aussi en marge de l’exposition. Pour informations : mbam.qc.ca (LIEN).
Marie-Josée R.Roy
Fondatrice / Rédactrice en chef / Journaliste
Rétroliens/Pings