Il aura fallu deux ans à Magalie Lépine-Blondeau pour pouvoir enfin interpréter le vertigineux rôle-titre de «Mademoiselle Julie» sur les planches du Théâtre du Rideau Vert. Mais le public ne perdait rien pour attendre. L’actrice s’avère souveraine dans la peau de l’intense personnage, jouant vulnérabilité, détresse, colère et rébellion dans un tourbillon sans répit.
«Mademoiselle Julie» était l’un des morceaux de résistance de la programmation du printemps 2020 du Théâtre du Rideau Vert et s’apprêtait à lever son rideau quand le Québec s’est confiné pour la première fois.
Le gouvernement promettait alors une pause culturelle et sociale de trois semaines, mais Serge Denoncourt, maître d’œuvre de «Mademoiselle Julie», qui en orchestre mise en scène et adaptation, n’était pas dupe. C’est de son propre gré que les représentations de la pièce du Suédois August Strindberg ont été reportées de deux ans.
Le créateur était on ne peut plus ému, jeudi, soir de première médiatique, d’enfin pouvoir souhaiter la bienvenue aux spectateurs et de montrer le fruit du labeur de son équipe, dans une relecture coup-de-poing d’un classique du XIXe siècle, qui résonne encore en 2022.
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Entre ombre et lumière
On va voir «Mademoiselle Julie», bien sûr, pour la prestation de Magalie Lépine-Blondeau, qui traverse littéralement toute la palette des émotions dans ce huit clos d’une heure trente. Sa Mademoiselle Julie se révèle tour à tour séductrice, charnelle, manipulatrice, féministe, suppliante, fragile, vindicative, dégourdie. L’artiste alterne entre ombre et lumière avec l’aisance des plus grandes. Ses camarades de jeu, David Boutin et Kim Despatis, en imposent également, mais Lépine-Blondeau porte une partition qui exige souffle et dévouement. Chapeau bas.
L’histoire, à elle seule, titille aussi le système de valeurs. Jean (David Boutin), arrogant domestique, fréquente la servile cuisinière Kristin (Kim Despatis), mais ne refuse pas les avances de la fantasque aristocrate Mademoiselle Julie, la fille du maître, lorsque celle-ci se pointe, aussi aguicheuse que candide, et se met en frais de le charmer sans trop qu’on connaisse son objectif.
En cette nuit de la Saint-Jean où toutes les folies sont permises, un duel de séduction s’enclenche alors, au point d’en devenir presque dangereux : elle, haineuse des hommes mais aspirant à l’amour, lui, rêvant de grand et refusant la soumission, on en vient à se demander qui domine qui, et surtout, pourquoi. On retient par moment notre souffle devant ce mélange d’attirance et de mépris, sur fond de sauvetage des apparences.
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Lutte de pouvoir
Tout, dans la mise en scène de Serge Denoncourt, incarne la lutte de pouvoir, des postures des comédiens à la musique sourde qui appuie les instants de lourdeur, jusqu’à la noblesse de Mademoiselle Julie en opposition à la rusticité de la cuisine de campagne où se campe cette joute sans merci, dans une tension parfois à couper au couteau.
Dans le programme de la pièce, Denoncourt affirme avoir souhaité mettre en relief d’autres facettes que celles, évidentes, des protagonistes de «Mademoiselle Julie». Non, cette dernière n’est pas qu’une allumeuse sans égards, et Jean est davantage qu’un blanc-bec insensible. Dans ce combat de mots, la production souhaitait faire ressentir pulsions réprimées, attraction toxique et passion sans issue. En bout de piste, on sort de la salle sonné(e)s par la violence des sentiments, ici sans merci.
Le Théâtre du Rideau Vert présente «Mademoiselle Julie» jusqu’au 16 avril. Cliquez ici pour billets et informations.
Crédit photos : François Laplante Delagrave / Courtoisie Théâtre du Rideau Vert
Marie-Josée R.Roy
Fondatrice / Rédactrice en chef / Journaliste
Fondatrice, rédactrice en chef et journaliste de Sous les projecteurs, je dévore de la culture québécoise depuis l’enfance et n’ai qu’un objectif, la faire rayonner à travers mes articles, et ce, depuis près de 15 ans. Anciennement journaliste chez Allô Vedettes, HuffPost Québec et l’Agence QMI.
Quelle description! Chapeau! J’ai tellement hâte de le voir le 14 avril.