Catherine Sénart a eu la main heureuse en jetant son dévolu sur l’œuvre de l’immense auteur-compositeur Stéphane Venne pour nous chanter la pomme. S’il est un artiste qui a su raconter finement l’amour et la romance, c’est bien le géniteur de ce Temps nouveau qu’on n’en finit plus d’espérer collectivement, et qu’on vit à petite échelle, individuellement. L’amour selon Venne, c’est la tendresse et la violence de l’affection intime ou universelle, dans la bouche d’une interprète investie, et surtout admirative – amoureuse, oui – du répertoire qu’elle embrasse.
La chanteuse et comédienne – qui dégage presque la même candeur qu’à l’époque de ses rôles dans les séries Watatatow et Marguerite Volant, et qui a vogué de la comédie musicale dans My Fair Lady, Neuf et la mouture chantée des Filles de Caleb – avait forgé son concept de tour de chant hommage à Stéphane Venne il y a déjà presque une quinzaine d’années, notamment à l’exigu Studio-Théâtre de la Place des Arts (rebaptisé, depuis, la Salle Claude-Léveillée). Après deux ans de va-et-vient « covidien », la grande romantique a ressenti le besoin de revenir à cette racine. D’entonner l’envoûtement. Celui des morceaux écrits, hier, pour Renée Claude, Emmanuelle, Isabelle Pierre ou Nicole Martin. Qu’on fredonne encore, qu’on connait mal ou qui n’ont jamais brillé de la lumière qu’ils méritaient. Que des mots (et maux) d’amour.
Angéliquement vêtue de blanc jusqu’aux talons, accompagnée du pianiste-choriste Marc-André Cuierrier, Catherine Sénart nous raconte donc, chronologiquement, l’histoire d’un amour dans les paroles de Stéphane Venne, un titre après l’autre. « Heureusement, on a la musique. Ce soir, on a beaucoup de Venne! », crâne la dame, après avoir décrit l’amour « intense », « engageant », « exigeant », « douloureux, souvent ». « On le cherche, on l’espère, on est foudroyé ou délicieusement conquis… »
La passion des débuts, les papillons, les lunettes roses, l’herbe devenant bleue et le ciel, vert (C’est le début d’un temps nouveau, Le monde à l’envers), l’apprivoisement rempli de promesses (Les enfants de l’avenir, C’est notre fête aujourd’hui), le doux tarissement de la flamme (J’parl’pu), les égarements (Le temps est bon)… Tous les soubresauts de l’âme, de l’embrasement à la lassitude, au désespoir, à l’énième chance, à l’absence, à l’éternel recommencement se remémorent au gré des À fleur de paupières, Ça commence doucement, Le tour de la Terre, Parfois, Que l’avenir vienne, Et c’est pour ça que je t’attends, Touche mes yeux, J’t’avais fait une chanson, La fidélité, Vas-y voir, La longue absence…
Jeudi soir, au Théâtre du Rideau Vert, un public réceptif a doucereusement fredonné Tu trouveras la paix en mémoire de la regrettée Renée Claude – relue, on s’en souvient, par une dizaine de talents féminins (Céline Dion, Ginette Reno, Isabelle Boulay, Luce Dufault, Marie-Denise Pelletier, Marie-Élaine Thibert) en 2019 en soutien à la chanteuse avant son décès –, aux pieds d’une Catherine Sénart émue. Et c’est dans une langueur suave, presque tannante, bien loin des festivités de Star Académie, que s’est amorcée l’incontournable Et c’est pas fini, pour se terminer dans un tempo semblable à l’originale d’Emmanuelle. Au rappel, la toujours délicieuse Il était une fois des gens heureux nous rappelle que les plus grandes parcelles de bonheur trouvent source dans les menus instants, et clôt le rendez-vous court d’une heure vingt avec un sourire doux.
Évidemment, on découvre ou redécouvre ici des joyaux méconnus du coffre aux trésors de Stéphane Venne. L’intense théâtralité de l’interprète éclipse parfois de précieuses paroles; sans trop en mettre – quoique… –, Catherine Sénart joue néanmoins parfois gros, de gestes et de mimiques grandiloquents dans ses numéros. Allant même jusqu’à s’étendre de tout son long sur le piano, devant son décor de rideau à franges ondulé, aussi blanchâtre que sa tenue immaculée, et hôte d’éclairages se modulant de formes et de couleurs selon l’ambiance.
S’il existe une raison de se déplacer en salle se délecter des chansons de Stéphane Venne, c’est bien pour, justement, écouter ces textes à nul autre pareil. Sobre, la proposition aurait pu l’être encore davantage, mais on ne peut reprocher à la metteure en scène Marie-Ève Gagnon d’avoir exagéré dans la fioriture, tout, ici, se concentrant sur Catherine et son imposant instrument noir complice. L’emphase devrait simplement être posée davantage sur les vers que sur le jeu. La voix, elle, est parfois chancelante, souvent juste, ici et là poussée dans de respectables envolées.
Chose certaine, Catherine Sénart aime Stéphane Venne et son art. Sa démarche ne résonne nullement comme une entreprise destinée au profit. Cet Amour selon Venne, c’est un sincère projet de cœur, un cœur épris, palpitant, emballé. Un cœur amoureux.
Rappelons que le conjoint de Catherine Sénart, l’acteur Luc Guérin, est présentement en vedette dans la comédie musicale La famille Addams, dont vous pouvez lire notre critique ici.
Catherine Sénart présentera encore L’amour selon Venne au Théâtre du Rideau Vert, à Montréal, ce vendredi et samedi, 10 et 11 novembre, à 19 h 30 et 16 h. Une tournée du Québec suivra à compter de février prochain. Un disque dérivé du spectacle est disponible sur place et sur les plateformes numériques. Pour informations, on consulte le site des Productions Martin Leclerc.
Marie-Josée R.Roy
Fondatrice / Rédactrice en chef / Journaliste