Rêver de devenir parent. Anticiper l’enfantement comme une évidence, une immuable certitude. Ça sera, ça arrivera, on le sait, c’est écrit quelque part. Puis, apprendre que les bottines ne suivront pas les babines, que le corps ne s’accorde pas au désir. L’impitoyable diagnostic de l’infertilité. Le déni, la douleur, le deuil. Quel sens donner à la vie quand on ne peut offrir, prolonger celle-ci, y laisser sa trace tangible?
La très actuelle pièce «Notre petite mort», présentement à l’affiche du Théâtre Prospero, aborde sans flafla, de façon frontale et bien de son temps, la notion d’infertilité et le deuil de la parentalité. Parce que c’est bien une «petite mort» que subissent les personnes qui souhaiteraient tant devenir mères ou pères et doivent tracer une croix sur ce projet pour des raisons… physiques. Voire «techniques».
On fait quoi après? On accepte comment d’avoir pigé le mauvais numéro à la loterie du système reproducteur? On gère comment le vide immense entraîné par cette «défaite»? Comment voir la fatalité autrement que comme un échec?
Le texte de «Notre petite mort», signé Émilie Lajoie (qui incarne aussi le personnage féminin principal de l’histoire), est à la fois sensible et réfléchi, et la mise en scène de Sophie Cadieux, articulée sur et autour d’un lit, près duquel se joue un drame trop commun et souvent mésestimé , nous plonge le nez dans le déchirement d’un homme et d’une femme forcés de redéfinir leur existence. Dans la proximité de la Salle Intime du Prospero, on aurait encore plus le goût de les consoler avec compassion.
Rêve de famille
«Notre petite mort», c’est d’abord un couple, Pascale (Émilie Lajoie) et Martin (Simon Rousseau), qu’on imagine au début ou à la mi-trentaine, unis depuis quelques années. Deux êtres qui se sont aperçus dans des soirs de beuverie (on salue la référence à la mythique Astral 2000), se sont mutuellement plu et se sont automatiquement dit : «Il/elle sera le/la père/mère de mes enfants».
Pas «mon/ma compagnon/compagne de voyages et de rénovations», non; un/une partenaire dans cette grande aventure que constitue la fondation d’une famille. Acte de confiance et d’abandon ultime que de remettre entre les mains de l’autre son besoin d’exister au-delà du temps, de graver une parcelle humaine de soi dans l’infini.
Au début de son parcours vers la parentalité, le tandem est rempli d’espoir, multiplie les rapprochements, se les impose. Pascale calcule le ratio spermatozoïdes/ovules libéré dans chaque rapport. À peine le dernier coup de bassin donné, la jeune femme magasine des articles de bébé sur son cellulaire. Les jours de congé, nos tourtereaux encore complices courent les «showers» de bébés des couples d’amis en espérant fébrilement que leur tour viendra. Bientôt.
Distance
Puis, au fil des scènes, on sent la distance qui s’installe entre Pascale et Martin. Une distance sournoise, presque imperceptible. Après six mois d’essais, un rendez-vous chez le médecin. Le cruel constat de l’infertilité féminine qui tombe, violent.
La lente marche vers l’acceptation qui s’amorce, à petits pas. Ces avantages, ces revers de la médaille, ces minces consolations, qu’on se répète comme un mantra, comme une bouée à laquelle s’accrocher : sans enfant, on pourra «snoozer» à l’infini, ne pas s’inquiéter en permanence, ne pas se faire suer avec les tours pendables des lutins en décembre, faire des conserves et des chandelles bio…
Puis, la remise en question de la féminité. De la solidité du couple. Le besoin de reconnecter à soi. En réécoutant «Sk8er Boi» d’Avril Lavigne ou en partant pour un long voyage. Seul(e) ou à deux?
Les proches croient aussi judicieux de se prononcer sur la question. Eux aussi souffrent. Comme Madame Rivest (toujours excellente Sylvie Potvin), l’attachante mère de Martin, qui, pensant bien faire, suggère à son fils et sa bru d’adopter un «bébé chinois», revendique que son garçon «pourrait en faire, un bébé, lui!» et exprime maladroitement sa propre incompréhension.
«Notre petite mort» résonnera assurément bien fort dans le cœur et l’âme de ceux et celles qui sont ou ont un jour été confronté(e)s à l’infécondité, et sensibilisera les autres.
Exutoire, réconfort, coup de poignard? Chacun(e) recevra ces mots selon son propre cheminement, mais chose certaine, «Notre petite mort» nous ramène nécessairement à notre propre perception de la parentalité.
«Notre petite mort» est présentée à la Salle Intime du Théâtre Prospero, jusqu’au 19 mars.
Crédit photo «Notre petite mort» : Annie Éthier
Marie-Josée R.Roy
Fondatrice / Rédactrice en chef / Journaliste